A PROPOS DE L’EXPOSITION ONIROGRAMAS
Par Vadig de Croehling, Directeur Fondateur de REASArch
Si de prime abord l’œuvre de G.D. Cohen peut ressembler à celle d’autres artistes qui fabriquent des objets discrets pour que nous les contemplions et les admirions, il n’est jamais long de présumer que son véritable art ne se trouve pas dans les objets qu’il crée. Nos soupçons, soit dit en passant, sont tout le problème. L’œuvre de Cohen donne toujours lieu à quelque chose d’autre, à la vague suggestion d’une trame qui n’a pas encore trouvé son roman, qui n’a pas encore été comprise comme une transcription ou une invention ; à un personnage ou un événement quasi historique qui semble être tombé dans le décor d’un film (un film de fiction ? ou un film déguisé en documentaire ?) ; toujours à un air de recherche inachevée, d’enquête égarée, de traces laissées par un érudit disparu dans les entrailles d’archives obscures…
Avec ONIROGRAMAS, Cohen présente les résultats préliminaires de ce qu’il appelle sa « rencontre spéculative » avec les collections de la Fondation Fellini à Sion, en Suisse. Aux fins de l’exposition, ces « découvertes » revêtent diverses formes : des œuvres photographiques dérivées de certains types de documents et d’images trouvés dans les archives de la Fondation ; des aquarelles figuratives de taille modeste ; grandes œuvres abstraites d’encre à l’alcool et de graphite sur vélin ; une vidéo en boucle ; des tissus déchirés, suspendus par bandes au plafond et s'étendant jusqu'au sol. À cet égard, le travail que Cohen propose ici n’est pas « sur » les films du Maestro en tant que tels : le spectateur cherchera en vain toute œuvre d’art qui fournit une interprétation visuelle d’Otto e mezzo ou Satyricon ou Roma ou Casanova. Au contraire, le projet de Cohen et son exposition correspondante ne concernent ni plus ni moins que les archives de Sion elles-mêmes. À cet égard, il s’agit d’une exposition autour des collections de la Fondation Fellini, le mot « autour » ici compris comme signifiant non seulement « au sujet de » ou « en lien avec » mais aussi « aux environs de », « dans l’espace qui fait le tour de », « à proximité de », et même dans le sens d’une situation « approximative ».
Certes, le travail de Cohen pour l’exposition émane d’une série de rendez-vous avec les objets des collections. Plus important encore, elle découle de sa propre découverte dans les archives de Sion d’un mystérieux ensemble de documents : trois petits carnets remplis de dessins étranges au crayon et à l’aquarelle, entrecoupés de textes cryptiques provenant de sources obscures : le Hymne Homérique à Hermès, un texte qui remonte à l’antiquité; une chronique du XVIe siècle, rédigé en allemand par Ulrich Schmidl, sur la première mission de colonisation espagnole au Rio de la Plata, en Amérique du Sud. Pourtant, l’exposition de Cohen plane également juste derrière (ou au-delà) les frontières de ces matériaux primaires. Après avoir passé beaucoup de temps à scruter les archives depuis un certain retrait, il a tenté de rendre ce qu’il a perçu de ce point de vue particulier : une frontière séparant les objets visibles au sein des collections d’une part, des dimensions invisibles de ces objets de l’autre. Ce sont ces dimensions invisibles qui ne peuvent vraiment être détectées que dès la périphérie elle-même, c’est-à-dire dès les bordures, la frontière, les limites des archives. Et c’est à ces dimensions invisibles que Cohen s’est hasardé de donner forme matérielle, ne serait-ce que pour nous alerter sur le fait que l’art ne se trouve là où sont de telles formes. C’est comme si, ayant entrepris de peindre une nature morte, l’artiste avait décidé de ne peindre que la silence immobile de la nature.
Ce que le visiteur de cette exposition peut finalement apprécier est l’occasion unique de poursuivre les spéculations inaugurées par G.D. Cohen. Qui, ou quoi, était Hermafróditos? Qu’est-ce qu’un onirograma? Comment les carnets récemment découverts ont-ils trouvé leur chemin jusqu’à Sion? Et en quoi ces choses pourraient-elles avoir un lien avec Federico Fellini, faisant ses films à l’autre bout du monde, en Italie dans les années 1960 et 1970 ?
Comme pour toute entreprise spéculative digne de ce nom, le projet de Cohen ne fournira pas — ne peut pas fournir — les réponses à ces questions ou à toute autre question que le visiteur pourrait poser. C’est seulement en posant les questions que l’expérience sera faite.